Premier Châpitre de Pierre Noire

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            Je me retrouvai en pleine forêt, un doctorat d’archéologie et un autre d’histoire en poches à creuser la terre sur mon premier site de fouilles de ma carrière. Qu’on se le dise, être docteur en archéologie ne veut pas dire que je dirigeais le chantier ni que je gagnais des mille et des cent, non. En général un archéologue en début de carrière même après de longues études, c’est juste un petit technicien qui gratte la terre là où on lui dit de gratter la terre, rien à voir avec Indiana Jones ou avec tomb raider. Mon premier salaire, même s’il était plus élevé que la moyenne du fait que je travaillais pour une société privée ne dépassait pas beaucoup le SMIC. Et ne pensez pas non plus que j’avais droit à une équipe non, les bénévoles et les stagiaires étaient employés par le service public, et même si le site avait pour mécène à la fois le ministère de la Culture et l’entreprise qui m’employait, moi je n’avais droit qu’à un seul étudiant pour m’aider, de plus j’étais sous les ordres d’un autre archéologue beaucoup plus expérimenté que moi. Ainsi je me retrouvai dans ce trou à retirer minutieusement de la terre noire et humide tout en supervisant mon stagiaire à moi, qui cela dit en passant était à peine plus jeune que moi, et plutôt mignon. Pour beaucoup de monde, passer ses journées à quatre pattes les yeux rivés au sol ne doit pas sembler très attractif. Moi j’adorais ça. Inconsciemment, je repensais à celle que j’étais il y a onze ans, et à celle que j’étais devenue. La petite punk désœuvrée ressemblait désormais à une jeune femme un peu trop maigre certes, mais musclée. J’avais aussi laissé mes cheveux repousser, ils tombaient désormais sur mes épaules. Enfin quand je ne me faisais pas une queue de cheval pour éviter qu’ils ne me gênent quand je travaillais. J’avais aussi laissé ma couleur naturelle revenir ne gardant de ma teinture rouge de mon ex-Iroquoise qu’une fine mèche sur la gauche et qui je trouvais, allait plutôt bien avec mes cheveux châtain très clair, à la limite du blond. Décelant dans le sol une forme indistincte, je changeai d’outil et pris un pinceau afin d’exhumer l’objet que j’avais trouvé.

Oui, on peut dire que j’avais changé depuis mes quinze ans. Et je peux même dire que je réussissais à être heureuse malgré le fait que j’habitais toujours chez mon père qui se trouvait être un vampire, et que la dame qui m’avait payé mes études, elle aussi un vampire, m’avait engagée, pour travailler dans l’une de ses sociétés (ou plutôt une fondation, dans ce cas-là) au service d’histoire. Mais après tout, elle avait payé mes études, ce devait être ça un retour sur investissement, non? De plus connaissant l’existence de tout un tas de créatures qui ne se sont jamais fait connaître des humains, elle devait vouloir me garder à l’œil. Ha oui, j’oubliais, j’étais toujours célibataire malgré mes nombreux essais, tant auprès des hommes que des femmes. Au moins, j’accomplissais ce que je voulais, et je ne manquais pas d’affection.

            À côté de moi, un drôle de bruit se fit entendre, me tournant vers mon étudiant adoré, je pus voir ce qu’il faisait.

–         Eh, t’es trop près de la pierre pour continuer à utiliser ça, tu vas abimer quelque chose avec cette truelle! Prends un pinceau!

–         Désolé, la terre est tellement grasse ici, c’est chiant, elle se colle partout.

–         Y’ a pire, imagine s’il pleuvait.

–         Ne m’en parlez pas!

Retournant à mon objet fiché dans le sol, je m’aperçus qu’il était en métal, je continuai ensuite à le sortir avec précaution, enlevant également de la terre autour afin de dégager l’objet sans le détériorer. C’est ainsi que je découvris une deuxième pièce. Bon, il va falloir donner quelques coups de pinceau en plus. Je constatai  que les deux objets noirs étaient similaires dans leur aspect… intéressant.

–         Au fait, fit mon voisin, la chapelle où l’on est, elle à une forme bizarre non?

–         Non, elle correspond à une église préromane type. Pourquoi?

–         Ben une église normalement à une forme spécifique, genre en croix.

–         Pour certaines romanes ou plus récente, mais pas pour une église aussi vieille.

–         D’accord, j’ai rien dit… au fait, vous venez de trouver quoi?

–         Des bouts de métaux, venant sans doute du même objet.

–         Au-dessus du deuxième sur la droite, il y a un autre truc qui dépasse.

–         C’est juste.

Toujours armée de mon pinceau, j’enlevai la terre de la troisième pièce noire d’humidité et de rouille. Je m’arrêtai en voyant que ce morceau-ci était en plus mauvais état que les autres. Dans un grognement, je me redressai. Autour de mon trou, les fouilles des vestiges de ce village haut médiéval continuaient, au-delà. La forêt régnait calme et silencieuse, filtrant doucement le soleil de ce début d’été. Je fis craquer un peu les os de mon dos en grognant et me remis sur mon troisième bout de ferraille. L’attention rivée à ce que je faisais, je finis par sortir, après beaucoup d’effort et de concentration, une espèce de plaque plus longue que les deux autres. Au bout d’un moment, mon voisin étudiant annonça pour lui même:

–         Tiens, elle a dû cramer cette église.

–         Pourquoi?

–         Je suis arrivé au pied du mur, il y a des traces noires et la pierre est craquelée.

Regardant où il en était, je fis la même constatation que lui.

–         Continue vers la gauche, on verra s’il y a toujours des traces d’incendie.

Après quelques minutes de gratouillages intenses, moi sur mes bouts de fer, lui sur les restes du mur, mon voisin se remit à parler.

–         Au fait, je peux vous demander un truc.

Il ne pouvait pas s’empêcher, il fallait qu’il glisse à tout bout de champ le mot  »truc » dans ses phrases. Ce qui avait le don, à la fois, de m’agacer et de me charmer. Quand le docteur Simon, le chef du service d’histoire de la C.R.A.F (Cultural Research Assan Fondation/Fondation de Recherches culturelles ibn Assan) me l’avait présenté quelques jours plus tôt, j’avoue que ce jeune étudiant ne m’avait pas laissée indifférente. Le peu de jours passés avec lui m’avait vraiment permis de l’apprécier de plus en plus. Il était attentif et passionné dans ce qu’il faisait, m’écoutait quand je lui donnais des conseils et il exécutait les travaux que je lui demandais d’effectuer, attitude que je trouvais très agréable chez lui. Sans compter que nous avions développé assez vite une certaine complicité en travaillant ensemble.

–         Oui, Nicolas?

–         À midi, l’un des stagiaires du public m’a dit que vous étiez toujours célibataire.

–         En quoi ça te regarde? Fis-je un peu agacée.

–         En rien, c’est juste que… enfin, vous n’êtes pas mal et tout, alors je me demandais…

Un coup d’œil sur le côté m’apprit que le jeune homme avait rougi et qu’il fixait avec intensité la pierre imbibée de terre noire des ruines. Je souris.

–         Comment ça se fait… mais c’est peut-être dû aux études, enfin je veux dire…

–         Non mon petit stagiaire, ce n’est pas le temps consacré aux études qui fait que je suis encore seule. Le coupai-je, j’ai eu des tas de relations, encore qu’en règle générale, cela ne te regarde pas, mais bizarrement, ils ou elles sont tous partis en courant au bout d’un moment.

–         Ils ou … elles?

Eh merde, j’ai encore parlé trop vite, ça m’apprendra à dire des choses sur ma vie privée!

–         Oui, ils ou elles, ça te dérange? répliquai-je agacée.

De rouge, il était passé à l’écarlate.

–         Non.

Flûte, encore un qui va s’imaginer des choses. LES MECS!!

Mais au bout d’un moment, il revint à la charge.

–         Vous vouliez dire quoi quand vous disiez qu’ils partaient en courant?

Pas possible le gars, très mignon, mais il ne pouvait pas bosser en silence!

–         Le dernier en date s’est trouvé déçu quand il a appris que les parties à trois ce n’était pas mon truc. Celle d’avant n’a pas apprécié que je mate les mecs dans la rue alors qu’elle ne se gênait pas pour faire la même chose version homo, je te donne plus d’exemples ou t’es suffisamment rouge comme ça?

–         Ça ira

Dégageant un quatrième artéfact archéologique, je riais intérieurement. Pour la lessive, il y a plus blanc que blanc, et pour le petit stagiaire de Mav, il y a plus rouge que rouge.

Nous continuâmes à travailler en silence.

La conversation me fit repenser à mon passé. On est vite éduqué en matière de sexualité en fréquentant les squats, sans un sou et qu’il vous faut votre dose. J’y avais découvert ma bisexualité, et c’est l’une des seules choses de cette époque que je ne regrettai pas, malgré les très mauvaises raisons qui m’avaient entraînée sur ce terrain… Plus tard, lorsque Bjorn m’éleva, il recevait avec rudesse mes petit(e)s ami(e)s comme tout père humain normal je suppose, cependant, je me rendis compte que les vampires en général et mon père adoptif en particulier étaient assez libres en matière de sexualité. À condition que je fasse attention et que je ne dépasse pas certaines limites, je restai libre à ce niveau-là. Pour le reste, il restait un vrai père, pour autant que je puisse comparer avec les parents des autres, je manquai d’exemple d’autorité parentale, car mes parents adoptifs étaient violents et alcooliques et le père qui me restait avait disparu lorsque j’avais dix ans. Pour ma mère naturelle, je ne l’avais jamais connu. Enfin bref, Bjorn emplissait vraiment sont rôle de tuteur, je devais faire mes devoirs, ranger ma chambre et tout et tout, il me donnait même l’amour paternel que je n’avais jamais reçu avant lui.

            Je finissais de mettre au jour un cinquième objet un peu différent des autres lorsqu’une voix au-dessus de moi se fit entendre.

–         Qu’avez-vous trouvé miss Lokeson?

Oui, j’avais pris le nom de famille de mon tuteur, enfin son nom de famille du moment. Après tout, il m’aimait et m’avait élevé, pour moi c’était mon vrai père, quoi de plus normal que de prendre pour nom de famille le nom du seul vrai parent que je n’ai jamais rencontré. Non?

Avec lenteur, je me redressai, découvrant avec douleur que j’avais une nuque et un dos. Debout, un peu en retrait de la fosse, me faisant face, le docteur Cedric Simon de son vrai nom Cerdwinen Simonael me regardait de ses yeux de braise. Archéologue et Anglais de son état, mon chef du service d’histoire de la fondation franco-britannique Assan, appartenant au groupe de sociétés d’origine anglaise du même nom, avait l’apparence d’un bel homme bien conservé ayant dépassé la cinquantaine. Sans une seule livre de graisse, il semblait avoir gardé la force de ses trente ans, son visage fin et légèrement ridé, et ses cheveux grisonnants coiffés en brosse le rendaient assez séduisant comme homme mûr. Même s’il avait l’air humain, ne vous y trompez pas, il était beaucoup plus vieux que son apparence et pour cause, c’était un dragon. Oui, je sais ! Vous allez me dire que les dragons ressemblent plus à des lézards géants crachant du feu qu’à de superbes mannequins mâles de cinquante ans, m’empêche que c’était un dragon, il me l’avait avoué quand il avait appris que j’en savais plus que le commun des mortels. Peut être que l’apparence qu’il avait n’était pas sa véritable apparence après tout? Qui sait?

Toujours est-il qu’il me fixait tranquillement, les mains dans les poches et attendant ma réponse.

–         J’ai ici, cinq artéfacts métalliques provenant vraisemblablement du même objet, je n’en suis pas certaine, mais la cinquième pièce semble être garnie d’or à certain endroit. Il faudra attendre le nettoyage pour en être sûr, quoique j’aie des doutes, mais on dirait que j’ai une épée.

–         Et Nick?

–         Il a dégagé le mur de l’église sur quelques mètres et découvert des traces d’incendie.

–         L’équipe du ministère a aussi décelé des traces de feu sur les vestiges des maisons.

–         Tout le village aurait brûlé? En même temps?

–         Vraisemblablement, mais c’est trop tôt pour le déterminer.

–         Pillages? demanda Nicolas.

–         C’est possible, la Seine est à quelques mètres et l’époque correspond aux raids scandinaves de l’ère viking.

Amusant ça, il faudra que j’en parle à mon papa. Continuant sur sa lancée, le Docteur Simon poursuivit.

–         Ce qui m’intrigue le plus c’est l’épée.

–         Je ne suis pas certaine que ce soit une épée, attendons le résultat du nettoyage et des analyses.

–         Peu importe, il est probable que ce soit aussi une épée, j’en ai trouvé une autre il y a quelques heures, elle était mieux conservée que celle-là et j’ai pu même déterminer son origine. C’est une lame scandinave.

–         Mais ils tenaient à leurs armes comme à la prunelle de leurs yeux, m’étonnai-je, ils n’en auraient pas abandonné ici, c’est bizarre…

–         Oui, c’est bizarre… Me fis écho Simon, bon, on ne trouvera pas la solution aujourd’hui. Commencez à sortir les trouvailles afin de clore le site pour la nuit.

Sur ce, il commença à s’éloigner, puis revint vers moi.

–         Au fait, miss Lokeson.

–         Oui?

–         N’oubliez pas que nous avons une réunion ce soir avec madame ibn Assan, soyez à l’heure.

Sans attendre de réponse, il repartit.

–         Bon ben… au travail Nicolas, on marque les endroits où nous avons découvert quelque chose, on emporte les objets et l’on remballe…

Dit comme cela, ça à l’air rapide hein? En fait, nous avons mis plusieurs heures à accomplir toutes ces tâches. Autant dire que j’ai eu l’air heureuse quand les objets sortis de terre la journée se sont retrouvés en sécurité, je pus enfin rejoindre la voiture. Devant ma petite polo, mon stagiaire adoré m’attendait croulant à moitié sous la fatigue. Merde! J’ai oublié, il faut que je le ramène. Ma douche risque de s’impatienter, flûte!